Résumé des interventions

Vous trouverez ci-dessous les résumés de toutes les interventions (hors interventions des grands invités). Ils sont classés par ordre alphabétique des noms des intervenants.

 

Benoit BOTTOS

Quand les bornes de jeux envahissent les cafés : les cafés invaders. Analyse médiatique d’un phénomène de boom culturel dans le Japon de la fin des années 1970

18 juillet 1979, le Japon est sous l’occupation des jeux Invaders. Ainsi titrait le journal Yomiuri son édition du matin. L’occupant mis en cause : le jeu vidéo Space Invaders, publié l’année précédente par la société Taito qui, dans une dynamique d’expansion de son marché, déclina son jeu sur des bornes en forme de table à destination des cafés. Le succès de la machine alla bien au-delà des attentes de la firme et provoqua un boom culturel qui bouscula l’industrie des machines de jeu, encore peu structurée à cette époque.

Dans les études culturelles japonaises, la notion de boom se trouve souvent rattachée à celle de “mode” 流 行 (ryûkô), afin d’alimenter la vision d’un modèle évolutif de la culture d’après-guerre comme découpé en périodes, au sein duquel ces booms culturels seraient les éléments indicatifs de l’air du temps. Ils seraient donc incontournables dans la construction des représentations collectives de la culture populaire. Bien que l’on puisse reprocher à cette approche son aspect culturaliste, car elletend à considérer les japonais comme particulièrement enclins “par nature” à suivre les modes, ainsi qu’à invisibiliser les pratiques culturelles plus marginales, ce concept de boom nous sert néanmoins de point de repère permettant de dégager des tendances culturelles fortes sur une période donnée.

Dans cette présentation, nous reviendrons sur le boom provoqué par le jeu Space Invaders, en concentrant l’analyse sur son traitement médiatique. À travers une analyse discursive d’archives tirées de trois quotidiens nationaux et deux journaux spécialisés de l’industrie, nous donnerons des éléments de mesures de la durée et de l’intensité du phénomène, ainsi que de son impact sur les représentations du jeu vidéo et de son industrie dans la société japonaise.

 

Julie BROCK

L’éclairage symbolique de l’expression tamakushige « le coffret à peignes » – Comment lire et traduire les sōmonka n°93 et 94 du Man’yōshū ? –

Les sōmonka « poèmes d’échange amoureux » n°93 et 94 (vol. 2), respectivement de Kagami no Ōkimi (鏡王女 dates inconnues) et Fujiwara no Kamatari (藤原鎌足 614–669), ont probablement été parmi les sōmonka les plus discutés dans l’histoire de la réception du Man’yōshū. Nous y voyons trois raisons : la première est qu’ils font partie des waka n°91 à 95 qui constituent la série inaugurale des sōmonka dans le Man’yōshū, la deuxième est qu’ils ont été reçus à l’époque de Nara, parmi les autres poèmes de cette série, comme une sorte de saga retraçant les événements historiques de leur époque (juste avant la guerre de Jinshin, 672) sous un angle personnel et intime. La troisième est qu’ils ont semblé particulièrement problématiques aux yeux des commentateurs, le poème de Kagami no Ōkimi (n°93) parce qu’il ne correspond pas aux critères d’une composition féminine, celui de Kamatari (n°94) parce qu’il est resté longtemps énigmatique du point de vue du sens. Dans notre communication, nous retracerons brièvement l’histoire de la réception de ces deux sōmonka pour montrer, concernant le n°93, que son interprétation a évolué en fonction des présupposés qui régnaient à l’époque de la réception. Ainsi, l’expression de Kagami no Ōkimi paraît-elle inconvenante pour une femme aux yeux des savants confucéens de l’époque d’Édo, tandis qu’elle semble novatrice et moderne aux yeux des commentateurs émancipés de l’époque d’après-guerre. En ce qui concerne le poème n°94, nous montrerons qu’il fallut attendre la publication d’un article de Murata Masahiro en 1985 pour que soit enfin déchiffré le symbole contenu dans le premier mot de ces deux sōmonka : tamakushige, « le coffret à peignes ». En conclusion, nous nous appuierons sur l’éclairage symbolique mis en évidence par Murata pour proposer une traduction de ces deux sōmonka en tant que tels, c’est-à-dire en tant qu’un échange amoureux.

 

Véronique BRINDEAU

À la périphérie des genres artistiques : Champion (1963), une œuvre radiophonique du  compositeur Takemitsu Tōru  et de l’écrivain Abe Kōbō.

Comme le cinéma, la radio aura représenté pour le compositeur Takemitsu Tōru (1930-1996) un terrain fertile d’expérimentations, un « passeport pour la liberté », ainsi qu’il le disait lui-même, notamment à travers sa collaboration avec l’écrivain Abe Kōbō. Si cette association entre les deux auteurs est le plus souvent commentée à propos des films de Teshigahara Hiroshi réunissant leurs signatures (La femme des sablesLe plan déchiqueté, entre autres), les œuvres radiophoniques qu’ils conçoivent en commun, moins connues, apparaissent néanmoins révélatrices de positions esthétiques que le compositeur affirme à partir des années 1960 et qui sont tout particulièrement à l’œuvre dans la pièce radiophonique Champion : traitement musical des bruits en gros plan, phrasé des intonations parlées, création d’un espace sonore hybride incluant un plan de référence narratif.

Réalisée en 1963 à partir de prises de sons collectées par le compositeur dans une salle de boxe, Champion est structurée selon un canevas conçu par Abe Kōbō. Au-delà d’un thème déjà abordé par Takemitsu dans le film José Torres (portrait d’une vedette de la boxe par Teshigahara Hiroshi, 1959), cette œuvre met en évidence l’importance pour le compositeur des notions  de musique concrète et de montage, qu’il exposera l’année suivante dans un texte intitulé La beauté concrète.

 

César CASTELLVI

Couvrir ou se protéger : la catastrophe de Fukushima vue par les journalistes sur le terrain

Depuis dix ans, beaucoup d’études ont analysé souvent de manière critique la couverture par les médias japonais de l’accident nucléaire de Fukushima en prenant appui sur des analyses de contenu ou des enquêtes sur la réception de l’information par la population. À partir d’une recherche en cours basée sur des entretiens menés avec des journalistes en postes à l’époque et de documents d’archives, cette présentation se propose de partir d’un autre angle en se focalisant sur les expériences de travail de celles et ceux qui étaient sur le terrain et dans les rédactions au moment de l’événement. Alors que les professionnels de l’information ne sont pas astreints aux mêmes règles que les pompiers ou la police en raison de leur statut de salariés d’entreprises privées, où se situe la frontière entre mission d’information et protection des salariés ? Comment les reporters composent-ils entre leurs obligations hiérarchiques et les valeurs associées à leur activité ? De façon plus générale, qu’est-on en droit d’attendre des médias dans des situations extrêmes de ce type ? En partant des premiers résultats de l’enquête, cette présentation souhaite faire ressortir la diversité des rapports au risque au travail et la manière dont les expériences individuelles des journalistes ont pu être retranscrites (ou pas) dans les articles produits.

 

Filippo CERVELLI

Contes de magie et de périphérie : centre et périphérie dans le réalisme magique chez Gabriel García Márquez et Abe Kazushige

Selon Fredric Jameson, le modernisme naît du fossé insondable créé entre la périphérie (les colonisés) et le centre (le colonisateur). Stephen Dodd quant à lui soutient que le modernisme ouvre « une vision alternative et habilitante pour ceux qui vivent dans les territoires colonisés ». Alors que le discours sur le modernisme se rapporte à une époque spécifique, nous utiliserons cette dichotomie des visions du centre et de la périphérie, ainsi que leur rôle dans l’histoire, pour relire deux ouvrages issus de la littérature latino-américaine et japonaise : Cent ans de solitude (1967) de Gabriel García Márquez et Sin semillas (2003) de Abe Kazushige. Malgré leur éloignement – aussi bien sur le plan temporel que sur celui de leur contexte socio-historique –, ces deux œuvres se servent du réalisme magique pour raconter des réalités périphériques qui contrastent avec leur « centre », qu’il s’agisse de l’armée révolutionnaire dans le petit village de Macondo chez Márquez, ou de la saga de la famille des boulangers Tamiya dans la provinciale Jinmachi chez Abe. À travers une lecture dialogique des romans, cette intervention a pour but de mettre en évidence à la fois la façon dont l’insertion d’éléments magiques permet de générer d’innombrables récits qui remettent en question l’histoire officielle, générée par le centre, et comment ce dialogue peut souligner de nouveaux liens littéraires entre la Colombie des années 60 et le Japon contemporain.

 

Chiharu CHŪJŌ

Mizutama-shōbōdan : une réflexion sur la position de la musique punk-rock féminine au Japon dans les années 1980

Cette communication portera sur le groupe musical Mizutama-shōbōdan 水玉消防団 (1978-1989), un groupe punk-rock féministe qui a vu le jour à la fin des années 1970 au Japon. Le punk féminin apparaît sur la scène musicale occidentale un peu plus tard que son homologue masculin, à partir de la fin des années 1970. Tout comme le punk masculin, le punk féminin se démarque par sa position antiautoritaire et du style de DIY. De nombreux groupes tels que the Slits ou the Raincoats, présentant par ailleurs une posture féministe qui dénonçait la norme sociale imposée aux femmes, ont influencé les protagonistes des célèbres mobilisations punk féministes « Riot Grrrl » dans les années 1990. Au Japon, la première vague de punk a vu le jour dans les années 1980. Mizutama-shōbōdan commença son activité musicale à cette même période. Composé de personnages féministes, ce groupe avait un poids important dans les mouvements féministes de l’époque. Se distinguant par son style mélangeant le post-punk et le no-wave, Mizutama-shōbōdan est aujourd’hui considéré comme l’un des groupes fondateurs du mouvement japanoize. Toutefois, contrairement à l’évolution de la scène punk-rock féministe dans les pays occidentaux, le positionnement féministe de Mizutama-shōbōdan ne semble pas avoir eu un impact considérable sur ses successeuses punk-rock féminines japonaises. Cette rupture s’imbriquerait dans la commercialisation du style punk-rock féminin par l’industrie musicale de l’époque, qui va de pair avec la dépolitisation du style. En analysant ses styles musicaux et en ayant recours aux entretiens des protagonistes de la scène punk japonaise de l’époque, nous nous pencherons sur leur positionnement en tant que musiciennes féministes dans les milieux de la punk-rock japonaise, afin de saisir les contours de la position des musiciennes punk-rock au Japon.

 

Amélie CORBEL

Centre et périphéries du champ juridique japonais : étude comparée du rapport au droit entre avocats et parajuristes (junhôsô 準法曹)

Alors qu’ils représentent plus de 80% des prestataires de services juridiques au Japon (PSJ), les parajuristes (junhôsô 準法曹) sont largement délaissés par la recherche en sociologie du droit, au profit des seuls avocats. Quant aux rares travaux scientifiques qui abordent le sujet, ils se caractérisent par un manque de données empiriques de qualité. En particulier, la différence de nature entre juristes et parajuristes est davantage affirmée qu’elle n’est démontrée. 

S’inscrivant dans le champ de la sociologie des professions juridiques, la présente communication propose une étude comparée du rapport au droit de deux professions juridiques : les avocat (bengoshi 弁護士) et les conseillers-experts en procédure administrative (ci-après, CEPA) (gyôsei shoshi 行政書士). Tous deux ont pour point commun d’exercer dans le domaine du droit de l’immigration (nyûkan-hô 入管法).

Pour mener à bien cette recherche, nous avons procédé à une étude comparée d’ouvrages de droit de l’immigration (n=9)[1], la première moitié ayant été rédigée par des avocats et la seconde par des CEPA. En procédant ainsi, il s’agit d’interroger l’existence ou non de différences dans la manière dont ces deux professions conçoivent les normes juridico-administratives mises en œuvre par le Bureau de l’immigration (BdI). L’analyse des données confirme l’hypothèse d’un rapport différencié au droit. Les CEPA adoptent une approche positiviste du droit tandis que les avocats prennent davantage de distance critique par rapport aux modalités d’application des normes par le BdI. Cependant, on note également des variations notables au sein de chaque profession, que ce soit dans les stratégies avancées pour faire valoir le dossier du client défendu ou encore leur degré de militantisme. 


[1] Chiffre susceptible d’augmenter. La section de notre thèse qui sert d’appui à la présente communication porte sur ces 9 ouvrages mais il est possible que nous élargissions la base de données d’ici la date de la conférence en décembre 2021. 

 

Jeremy CORRAL

Le studio de musique électronique de la NHK : la fabrique d’un « centre » international de la musique contemporaine

Au cours des années 1950, se développe dans quelques-uns des pays les plus industrialisés une nouvelle recherche musicale dont les moyens ont recours aux capacités techniques du matériel des grandes structures radiophoniques. À la faveur du climat d’ouverture internationale propre à l’après-guerre, les studios de création expérimentale qui émergent rivalisent d’inventivité pour rénover la musique en la raccordant aux préoccupations du temps présent. Au Japon, les dirigeants du studio de musique électronique de la NHK témoignent de la volonté de constituer ledit studio comme un centre de création international majeur, au même titre que le studio de Cologne, considéré comme un modèle auquel se référer sur les points technique et organisationnel. Parmi les moyens mis en œuvre, peut être citée l’invitation faite à Karlheinz Stockhausen de venir composer au sein de l’institution japonaise : un acte à travers lequel serait validé le savoir-faire local sur les plans de l’universalité et du particularisme. 

L’événement s’inscrit dans une perspective plus large de relocalisation du « centre » occidental, désormais éclaté, vers la « périphérie » : au Japon, dans le champ de la musique contemporaine, le Sōgetsu Art Center et le Festival de musique contemporaine de Karuizawa sont à la même époque des exemples de lieux de rencontres internationales majeurs, où se jouent des rapports à l’autre totalement neufs pour les compositeurs japonais. C’est ainsi dans une perspective transnationale de la création musicale, appliquée plus spécifiquement à la musique expérimentale des studios liés aux structures radiophoniques, que nous désirons aborder les dynamiques d’échanges autour des notions de centre et de périphérie.

 

Ken DAIMARU

Contrôler et prévenir. Législation sanitaire et régulation des épidémies aux frontières japonaises, 1874-1897

Il existe un lien fort entre protection de la santé et souveraineté nationale. Confronté à l’intensification de la circulation épidémique, notamment celle du choléra, l’État de Meiji cherche à réglementer et centraliser les initiatives locales existantes en matière de santé publique. Cependant, dans le cadre des « traités inégaux », les administrateurs rencontrent une résistance des puissances occidentales face à la régulation des cordons sanitaires aux frontières. Ce n’est qu’à la fin des années 1890, après avoir pu se soustraire à l’influence étrangère, que le Japon fait un usage intensif de la surveillance et de la quarantaine.

Cette communication portera sur le rôle des législations sanitaires relatives aux maladies contagieuses (le choléra, la typhoïde, la dysenterie, la diphtérie, le typhus épidémique, la variole et la peste) dans l’opérationnalité des frontières. Elle s’appuie sur l’analyse des débats médicaux entourant les dispositifs de contrôle ainsi que différentes modalités de gestion sanitaire mises en œuvre depuis la promulgation des Réglementations relatives à la vaccination (1874) à celle de la Loi pour la prévention des maladies contagieuses (1897).

 

Clément DARDENNE

Partis conservateurs et antiféminisme : le cas des élues nationales du PLD depuis les années 2000

Le 23 mai 2018 fut promulguée la loi sur la promotion pour l’égalité de genre en politique. Malgré une portée limitée, ce texte fut élaboré, proposé, soutenu puis voté sous la gouvernance libérale-démocrate d’Abe Shinzô dont la position antiféministe est clairement établie. Qu’un tel projet de loi ait pu initialement voir le jour au sein du PLD sous l’impulsion de la ministre d’État chargée de l’égalité de genre d’alors Noda Seiko constitua un évènement paradoxal. Ceci le fut d’autant plus que l’ensemble des élues nationales du parti n’étaient pas toutes unies derrière ce projet, pis,certaines d’entre elles, à l’instar d’Inada Tomomi, œuvraient officieusement contre. Existe-il une hétérogénéité desfemmes parlementaires du PLD et si oui, sous quelle forme et selon quels axes ?

Du point de vue de la littérature sur le genre, l’ensemble des femmes parlementaires appartenant au PLD est à considérer comme un groupe homogène ne participant pas à la représentation substantielle, au sens de Hanna Pitkin, des femmes au sein des institutions. Mais de récents travaux, comme ceux fondateurs de Sarah Child, nous invitent à reconsidérer cette vision binaire en prenant en compte l’existence d’un féminisme dit conservateur. Lequel, malgré son opposition farouche aux idéaux des féminismes des troisième et quatrième vagues, tente tout de même d’œuvrer à sa manière dans l’intérêts des femmes.

Il s’agira de proposer un travail qui, dans le cadre théorique du féminisme conservateur et à travers une analyse prosopographique (analyse biographique) et discursive (dont le corpus comprendra l’intégrale des prises de paroles à laDiète), reviendra sur cette vision monolithique des femmes parlementaires affiliées au PLD depuis les années 2000. L’enjeu sera d’y mettre en évidence deux populations qui régulièrement collaborent sur les problématiques régaliennes et qui parfois s’opposent radicalement sur des questions de politiques intérieures, en particulier sur celles touchant au rôle et à la place des femmes dans la société.

 

Arthur DEFRANCE

Poèmes sur Yoshino, séjour des ermites et des empereurs

Le Kaifûsô (« Recueil du souvenir de l’ancienne manière »), compilé en 753, est le premier recueil de poèmes en chinois littéraire de l’histoire de la littérature japonaise et peut-être le premier recueil de poèmes tout court. Le recueil est le témoin d’une époque de formation de la littérature, décrite comme conjointe à l’établissement de l’état, notamment par l’empereur Tenji et sa cour d’Ômi, cour que devaient emporter les troubles dynastiques de l’ère Jinshin en 671. On ne s’étonnera pas, ainsi, d’y trouver un certain nombre de poèmes de déplacement impérial à Yoshino, lieu, qui font écho à ceux de Kakinomoto no Hitomaro dans le Man’yôshû. L’espace de Yoshino dans le Kaifûsô, néanmoins, apparaît d’une manière plus ambigüe que dans les poèmes laudatifs du Man’yôshû. C’est en effet l’espace d’une projection des légendes chinoises (notamment celles liées aux immortels taoïstes), mais également de remotivation de légendes vernaculaires japonaises qui trouvent leur place ainsi dans la poésie chinoise. C’est un lieu situé dans les marges du pouvoir, mais qui – contrairement aux provinces d’exil décrites par d’autres poèmes comme lointaines et désolées – reste un lieu gouverné par ce pouvoir, contrairement à ce qu’ont pu affirmer des commentateurs japonais et occidentaux. Nous souhaitons nous intéresser à ces poèmes et à leur économie à l’intérieur du récit que raconte la structure du Kaifûsô, notamment au fait que le recueil comporte deux reprises de poèmes (n°83,119) écrits à Yoshino par Fujiwara no Fuhito, signe du rôle politique de ces pièces.

 

Fabien DURRINGER

Le Susanoo d’Akutagawa : une étude de la nouvelle Les vieux jours du vénérable Susanoo

Notre étude se propose d’analyser la nouvelle d’Akutagawa Ryunosuke Les vieux jours du vénérable Susanoo (oitaru susanoo no mikoto) en la confrontant à sa source d’origine, le Kojiki, afin de comprendre les procédés de création littéraire auxquels fait appel notre auteur, mais également de pouvoir apprécier la qualité intrinsèque de ce texte, notamment dans le traitement qu’il fait de son personnage principal, le dieu Susanoo. Après avoir, dans un propos introductif, situé la place de cette nouvelle dans l’œuvre de notre auteur, nous analyserons dans premier temps, usant de la méthode comparatiste, la manière dont le texte d’Akutagawa se structure par rapport au modèle dont il s’inspire, en justifiant les choix opérés par notre auteur. Nous verrons à cet égard comment, par exemple, dans les parties I et II de sa nouvelle, Akutagawa tire profit de la béance narrative du Kojiki entre le moment où Susanoo s’installe à Suga et celui où on le retrouve dans ses vieux jours au pays de Ne. Nous analyserons aussi comment dans les parties suivantes (III à IX), Akutagawa exploite à merveille la veine du conte dans le passage de la confrontation entre Susanoo et son futur gendre Ashihara Shikoo. Cette première approche du texte nous conduira ensuite à l’étude du personnage principal de cette nouvelle, Susanoo qui, dans le Kojiki, de par son caractère de trublion enfantin et capricieux, banni par son père une première fois, puis par ses semblables les dieux une seconde, nous semble répondre de manière très pertinente à la problématique du « périphérique et du central ». Nous serons amenés à recenser et étudier en détails les passages du Kojiki qui traitent de lui, mais également, dans une approche interdisciplinaire, à mentionner ce qu’ont pu dire d’autres études, anthropologiques entres autres, de ce personnage. Cette recension aura pour visée de permettre d’apprécier à sa juste valeur la manière dont Akutagawa met Susanoo en scène, notamment dans sa relation aux autres protagonistes de la nouvelle, sa fille la princesse Suseri et celui qui courtise cette dernière, Ashihara Shikoo. Cette étude détaillée, qui nous aura conduit à cerner au mieux les qualités de la nouvelle d’Akutagawa, nous permettra alors de conclure sur une réflexion d’ordre plus général sur la création littéraire à partir de matériaux à caractère mythologiques tels que ceux que peuvent fournir le Kojiki.

 

Simon EBERSOLT

Une redéfinition de la communauté nationale d’après-guerre ? Le cas de Tanabe Hajime

Dès le début de l’ère Shôwa, certains philosophes japonais avaient tenté de théoriser une nouvelle articulation entre l’individuel, le national et le monde, en vue de trouver une voie médiane entre, d’une part, le libéralisme posant l’individu comme principe de toute chose, et d’autre part, les idéologies niant l’individu (le nationalisme qui absolutise le peuple ethnique et le marxisme la classe sociale). Nous examinerons notamment les positions théorique et politique d’un philosophe qui a survécu à la guerre et qui a pris part à la redéfinition de la communauté nationale japonaise après la défaite : Tanabe Hajime (1885-1962). Nous verrons notamment si sa position a évolué avec l’avènement d’un contexte politique nouveau, celui de la défaite et de l’exigence d’une démocratie où la figure du citoyen (市民) est appelée à se substituer à celle du sujet de l’empereur (臣民) pour prendre une place plus centrale dans la vie politique de la nation. Nous analyserons aussi la redéfinition de la place de l’empereur dans l’articulation entre individu, nation et monde, non seulement du point de vue du contexte politique (occupation américaine), mais aussi du point de vue philosophico-politique, voire théologico-politique, empereur désormais considéré comme « symbole » du néant absolu, « clef de voûte » paradoxal de la vie politique de la nouvelle démocratie japonaise. 

 

Mathieu FAURÉ

Une histoire de fer et de sel : Mise en place de la régie du sel par le fief de Kaga et son application dans la péninsule du Noto (1621-1722)

La production de sel dans la péninsule du Noto est attestée depuis l’antiquité. Mais c’est à partir de l’époque prémoderne que les salines y prirent leur essor, sous l’égide des Maeda. En effet, le Noto constituait un territoire de rendement agricole médiocre dont les principales ressources étaient le bois, le fer, la mer et plus particulièrement le sel. C’est pourquoi, non sans velléités lucratives, le deuxième seigneur du fief de Kaga, Maeda Toshitsune, décida dès les années 1620 d’établir en Noto un système monopolistique sur la production et la vente de sel : la régie du sel, qui perdura jusque dans les premières années de l’ère Meiji. 

Une telle politique constitue sans aucun doute, au regard du contexte historique, une exception de par la précocité de sa mise en œuvre et sa pérennité. Si elle put se maintenir aussi longtemps, c’est entre autres parce qu’elle fit écho à un besoin social et économique des territoires et s’inscrivit comme part constitutive du lien entre le centre politique et la périphérie paysanne. 

Au cours de cette présentation, nous nous intéresserons particulièrement aux caractéristiques et moyens de mise en œuvre de la régie. En nous appuyant sur l’historiographie du fief de Kaga mais aussi sur les documents villageois de la péninsule, nous verrons qu’au-delà de son aspect lucratif, la régie du sel fut avant tout une tentative de répartition par le pouvoir seigneurial des ressources de la péninsule au service du développement des salines du Noto.

 

Alexandre FAURE et Louise WAGNER

Les Jeux de Tōkyō 2020-2021, un projet urbain à l’épreuve d’un report inédit

Les Jeux Olympiques et Paralympiques de Tōkyō 2020 reportés en 2021 sont le révélateur des politiques de régénération urbaine mises en place au Japon depuis le début des années 2000. Dans cette communication, nous souhaitons questionner l’importance de l’organisation des JOP dans la dynamique de centralisation des fonctions de la ville globale sur les pourtours de la Baie de Tōkyō à travers la promotion d’un immobilier de bureau et de résidences à destination des travailleurs, des touristes et des entreprises internationales. Cette politique s’accompagne d’un ensemble de dispositions visant à favoriser le déploiement de la ville festive sur ce même secteur.

La disposition des équipements olympiques, la construction du village olympique / paralympique et du centre des médias, viennent conforter cette volonté de mettre en valeur la baie et ses terre-pleins. Les Jeux devaient permettre de développer le tourisme, de réorganiser la baie en construisant des liaisons routières, des cheminements piétons et cyclistes, et en proposant de nouvelles offres de transports en commun. Il s’agissait aussi de proposer des expérimentations dans les domaines des transports (véhicules autonomes, véhicules à hydrogène, vélo en libre service), des améliorations dans les transports existants (amélioration des indications, diffusion de l’anglais, accessibilité pour les personnes à mobilité réduite et les personnes âgées), et de limiter la congestion. Cette limitation de la congestion grâce à une politique incitative envers les salariés et les entreprises devait être l’un des héritages tangibles des Jeux.

De fait, le report et la crise liée au Covid-19 font émerger un certain nombre de limites à ces politiques et aux objectifs des autorités locales et nationales concernant la ville de Tōkyō. Le tourisme, les échanges internationaux, la concentration de population toujours plus importante dans les transports et les espaces festifs deviennent dans la situation actuelle un problème plus ou moins durable. Il existe alors une contradiction fondamentale entre ce que la crise du Covid-19 laisse entrevoir pour les mois à venir, et l’organisation des Jeux en 2021. Nous souhaitons dans ce cadre, discuter de l’opportunité de l’organisation des Jeux à Tōkyō et des conséquences du report, voire de l’annulation de l’évènement en analysant les liens entre les politiques urbaines, les candidatures de 2016 et 2020, et la gestion du report par les autorités.

 

Antonin FERRÉ

Les excursions impériales dans le Japon de l’époque de Heian

Intimement liées au rite du « regard porté sur le pays » (kunimi) — par lequel l’empereur pratiquait l’ascension d’une hauteur pour réaffirmer son autorité sur l’étendue ainsi saisie par le regard —, les excursions impériales constituent l’une des formules privilégiées par lesquelles se manifestait, dans le Japon ancien, l’hégémonie du « centre » sur les « périphéries ». Très courantes depuis la haute antiquité jusqu’au début de l’époque de Heian, ces excursions vont néanmoins connaître un rapide déclin à partir de la seconde moitié du IXe siècle, période à partir de laquelle la figure impériale perd en visibilité au profit du clan Fujiwara. Cependant, l’époque de Heian connut quelques exceptions à cette tendance et la présente communication se propose d’examiner deux d’entre elles : le déplacement de l’empereur retiré Uda (r. 887-897) en 898 au lieu-dit Miyataki, dans l’actuelle préfecture de Nara, et le pèlerinage que Fujiwara no Michinaga (966-1028), un « simple » sujet, effectua au Kongôbuji en 1023 sur le modèle des excursions impériales. Quoique séparées de plus d’un siècle, et différentes de par leur contexte, ces deux occurrences présentent des objectifs communs, qu’on s’efforcera de mettre en relief par l’analyse des comptes-rendus littéraires rédigés à l’occasion de ces déplacements : la restauration, dans le premier cas, et la réinvention, dans le second, d’une forme d’autorité « archaïque » fondée sur la claire subordination des « périphéries » au « centre ».

 

Noémi GODEFROY

Aux origines du soulèvement de Kunashiri-Menashi (1789) : L’échec des pouvoirs institutionnels, la primauté des rapports de force individuels

À la fin du XVIIIe siècle, la partie nord-est du territoire aïnou se trouve prise en étau entre les intérêts contradictoires d’une multitude d’acteurs – autochtones, japonais et russes, politiques et économiques, locaux et institutionnels. Les tensions régionales qui en résultent atteignent leur paroxysme en 1789, lors d’un soulèvement aïnou dans la région de Menashi et sur l’île de Kounachir, finalement réprimé par le shogunat. 

À travers l’examen de témoignages de chefs aïnous restés en marge des troubles et de quelques Japonais survivants, on cherchera à brosser un tableau de la réalité locale en territoire aïnou et à analyser comment s’y sont superposées différentes autorités – shogunale, domaniale, locale –, et autant de modalités de contrôle. Il apparaîtra que pour comprendre l’équilibre des pouvoirs dans cette région à la fin du XVIIIe siècle, il faut l’appréhender non seulement à travers le prisme des rapports entre centres et périphéries, mais aussi – et peut-être surtout – dans une perspective multiscalaire, en considérant les différentes échelles où peuvent se jouer les rapports de force. 

Cette étude nous permettra de voir dans quelle mesure les dynamiques à l’œuvre au niveau local et la capacité d’action individuelle (agency) ont pris le pas sur les décisions et les acteurs institutionnels et centraux, les reléguant ainsi à la marge.

 

Arnaud GRIVAUD

Représenter la périphérie au centre : Le cas des parlementaires en situation de handicap

Le 21 juillet 2019, l’élection à la Chambre haute de la Diète de trois candidats en situation de handicap – dont deux avec des handicaps physiques lourds – a été assez largement relayée par les médias nationaux et internationaux. Cependant, alors que dans le débat sur le déficit de représentativité des institutions parlementaires, la question de la faible proportion de femmes et de personnes issues de minorités ethniques dans les assemblées législatives occupe une place centrale, la quasi-absence d’élus handicapés n’attire pas autant l’attention des gouvernants, des chercheurs ou même de l’opinion publique. Cette communication vise tout d’abord à examiner le profil et les conditions particulières qui ont permis l’élection des deux parlementaires en situation de handicap lourd du parti Reiwa Shinsengumi. Il s’agit ensuite d’analyser leur action législative (débats parlementaires, questions écrites…) et leurs effets – bien que le recul manque pour se prononcer définitivement –, ainsi que les stratégies déployées pour maximiser leur impact en tant qu’élus d’un parti très minoritaire (tonalité des interventions, utilisation des réseaux sociaux…). Cette étude de cas est l’occasion de questionner à nouveau l’articulation entre représentations descriptive et substantielle (Pitkin, 1967), mais aussi d’engager une réflexion plus générale sur la diversité, la délibération et la représentativité en politique au Japon.

 

Ivanka GUILLAUME

La quête émancipatoire des femmes handicapées japonaises

Au Japon dès les années 1960 émerge des mouvements militants pour la reconnaissance des droits de personnes handicapées. Ceux-ci se catalysent autour de la volonté d’agir pour l’abattement des barrières tant objectives que subjectives qui entravent les individus dans leur pleine participation à la vie en société. Au cours de nos recherches nous avons relevé que les événements de cette période sont abordés d’un point principalement androcentré. Au sein du groupe minoritaire que représente les personnes handicapées, nous retrouvons une persistance des rapports sociaux de genre. Ainsi, L’Histoire retient tout particulièrement l’action de l’association Aoi shiba no kai (association de l’herbe bleue) portée par des voix masculines. Or, de nombreuses femmes ont publié des ouvrages autobiographiques, offrant ainsi un aperçu de la société dans laquelle elles ont évoluées et les combats qu’elles y ont menés. Le mouvement de libération des personnes handicapées japonais, volet de l’histoire sociale de l’archipel ayant été peu étudié, nous méconnaissons encore un certain nombre d’aspects de celui-ci. Il s’agira dans cette présentation, au travers d’une étude de la littérature existante de rendre compte des revendications ; notamment celles concernant la santé reproductive etsexuelle, des femmes qui ont été actrices de transformations sociales majeures.

 

Aline HENNINGER

La création par les militantes lesbiennes contemporaines 

Si les représentations littéraires ou picturales des amours lesbiennes demeurent fragmentaires à l’époque moderne, les membres de la société Seitô et d’autres femmes autrices lesbiennes ou bisexuelles ont laissé des anecdotes et témoignages écrits, à l’instar de Hiratsuka Raichô et Otake Kôkichi, Yoshiya Nobuko et Monma Chiyo, ainsi que Miyamoto Yuriko et Yuasa Yoshiko.

Lors de la mise en place, dans les années 1970, des premiers lieux de socialisation se revendiquant « lesbiens », les femmes lesbiennes de l’époque mettent avant tout en place des initiatives pour se rencontrer, se raconter, et mettre un mot sur leur sexualité alors impensée. Ce n’est qu’à partir des années 1990 que les lesbiennes militantes cherchent des figures modernes ou anciennes pour revendiquer l’existence et l’histoire du lesbianisme au Japon La sortie en 2011 du film Dasvidania Yuriko, tiré de la biographie éponyme de Miyamoto Yuriko, rédigée par Sawabe Hitomi, montre que cet intérêt pour le lesbianisme a pris de l’importance.

Dans quelle mesure les militantes lesbiennes contemporaines ont-elles pu, à partir des années 1990, rechercher une filiation avec des figures féminines modernes telles que Miyamoto et Yuasa ? En quoi cette réappropriation participe-t-elle à la constitution d’une mémoire et d’une histoire militante lesbienne ? À partir de l’étude de revues lesbiennes des années 1990 et 2000, notamment Anise et Regumi Tsûshin, cette communication interrogera les liens, (re)créations et réappropriations de la vie des femmes lesbiennes ou bisexuelles de l’ère Taishô par leurs consœurs contemporaines.

 

Kazumasa ISHIGURO

Rhétorique gastronomique chez Nakagami Kenji : L’ assimilation des burakumin au bœuf wagyū

En 1986 s’est tenu au Centre Georges Pompidou un entretien public intitulé « Marginalité et tradition » entre Jacques Derrida et Nakagami Kenji. Les deux interlocuteurs y ont débattu des différences existantes entre deux mets de leurs pays respectifs : le foie gras et le bœuf wagyū. L’écrivain japonais fait alors remarquer que le foie a une fonction de détoxication qui consiste à discriminer entre les éléments sains à conserver et ceux malsains à expulser, alors que le boeuf wagyū est lui-même malsain, forcé d’avaler de la bière nipponne pour engraisser, tous les éléments se retrouvant alors sans distinction mélangés dans la viande persillée. À travers ces figures de style, il affirme que la discrimination contre les burakumin —un groupe minoritaire dont il fait partie — n’opère jamais dans l’archipel par leur mise à l’écart en tant qu’êtres discriminés ou aliénés ; il questionne ainsi la pensée dichotomique exemplifiée par la spécialité culinaire française. Afin d’expliciter cette affirmation, j’analyserai, en plus de l’entretien transcrit1, le travail d’écriture que Nakagami a engagé en 1982 pour relater le processus complexe de mise en place de la politique gouvernementale anti-discrimination et ses conséquences sur sa ville natale2. Ainsi, à travers cette analyse qui montrera le positionnement délicat de l’écrivain vis-à-vis de la discrimination, j’examinerai dans quelle mesure la métaphore gastronomique en question permet d’éclairer sa perspective quant à la réalité socio-politique vécue par les burakumin.

 

Yukiko ITOH

La couverture médiatique des violences sexuelles : la relation entre la NHK et les mobilisations collectives

La présente communication a pour objectif de comprendre le traitement par le groupe audiovisuel Nippon Hōsō Kyōkai (NHK), qui se décrit comme « média de service public », de la question des violences sexuelles faites aux femmes. La question gagne de plus en plus de visibilité médiatique au Japon à partir des années 2010, visibilité qui est un des éléments majeurs dans la construction des problèmes publics. Un autre élément donne une visibilité sociale à cette question : la mobilisation collective, dont on observe un exemple dans la furawā demo (« manif des fleurs »), qui se tient une fois par mois depuis plus d’un an. Notre présentation visera ainsi à comprendre quelles sont les motivations ou réserves de la NHK (agenda-setting) par rapport à la couverture des violences sexuelles. Nous réfléchirons également aux processus de production d’information qui lient ceux qui donnent, volontairement ou non, des matériaux (récits d’expérience vécue, revendications) et ceux qui récoltent l’information pour diffuser ce qui est produit. Notre principal outil d’analyse consistera à utiliser une approche qualitative en réalisant une quinzaine d’entretiens semi-directifs auprès des journalistes/réalisateurs de la NHK, des manifestants contre les violences sexuelles et des adhérents d’associations spécialisées. L’analyse sera complétée par la consultation d’archives de programmes, de recueils publiés de témoignages de manifestants ou encore de documents administratifs. 

 

Fiona KARCZ

De Lisbonne à Nagasaki : une brève histoire de l’imprimerie jésuite du Japon(1590-1610)

Alors que le XVIe siècle voit la prolifération de catéchismes en Europe, les missionnaires des espaces lointains souhaitent eux aussi utiliser l’écrit comme instrument de conversion des populations. C’est ainsi qu’après avoir envoyé une ambassade japonaise en Europe pour montrer le succès de l’évangélisation, le jésuite Alessandro Valignano profite du retour de la délégation pour faire importer une presse d’imprimerie. L’introduction de cette presse à caractères mobiles, au-delà de son rôle missionnaire, a des répercussions culturelles et linguistiques. L’objectif de cette communication est de revenir sur l’histoire de l’imprimerie jésuite au Japon entre 1590 et 1610 pour étudier l’impact de son activité et des publications jésuites au tournant des xvie et xviie siècles. 

 

Danila KASHKIN

En quête du savoir défendu, Naufragés japonais au cœur de la rivalité entre les grands daimyō et le bakufu

À partir des années 1630, le shogunat adopte une politique stricte de contrôle de ses frontières. Pendant plus de deux siècles, il est interdit aux Japonais de quitter le territoire nippon. Même si la construction et l’exploitation de grandsnavires capables de naviguer en haute mer sont prohibées, de petits bateaux peuvent toujours circuler entre les îles de l’archipel. Victimes de tempêtes, emportés loin de côtes japonaises, leurs équipages abordent parfois la terre ferme en Occident ou trouvent refuge à bord de vaisseaux étrangers, devenant ainsi des naufragés ou hyōryūmin 漂流民. Àl’époque, leur rapatriement éventuel offre aux grandes puissances l’un des rares motifs légitimes d’entrer en contact avec les autorités shogunales. Les marins qui rejoignent enfin le Japon sont quant à eux rapidement isolés de la population ordinaire et subissent des interrogatoires sévères.

La présente communication s’attachera à mettre en lumière la procédure implémentée pour accueillir ces naufragés suiteà leur retour au pays et prévenir ainsi la diffusion d’informations sur l’Occident à travers l’archipel. Nous nousintéresserons plus particulièrement à la coopération qui se met en place entre les seigneurs locaux et les autorités shogunales au fur et à mesure que le nombre de leurs contacts avec les navires étrangers augmente, ainsi qu’à la rivalitéqui oppose certains grands daimyō au bakufu pour s’emparer des connaissances que ces pêcheurs et marchands pourraient posséder.

 

Chieko KAWAI

L’emploi des particules casuelles et leur rapport avec les verbes dans les productions d’apprenants français du japonais langue étrangère

Le présent travail vise à dégager des caractéristiques d’emploi principalement des particules casuelles et leur rapport avec les verbes dans des productions d’apprenants français du japonais langue étrangère (JLE). Le verbe, noyau de la phrase qui est un élément autonome, et la particule, satellite et dépendante d’autres constituants de la phrase, ont un lien étroit et constituent des pierres d’achoppement pour les apprenants. Les études antérieures soulignent plusieurs caractéristiques sur l’emploi des particules : les apprenants du JLE tendent à choisir la particule en se focalisant sur un élément qui la précède alors que c’est le verbe qui détermine le choix de la particule. On observe également la confusion d’emploi des particules (notamment ni et de), la difficulté de l’acquisition des particules nide, ga, o, etc. La plupart de ces travaux sont basées sur des données issues d’apprenants asiatiques, et se concentrent sur l’emploi de quelques particules, ce qui diffère de notre étude qui traite de particules variées. Nous comparerons avec les résultats de recherches obtenus par les travaux antérieurs et tenterons de préciser aussi l’incidence de la langue source. Nous nous appuyons sur le corpus écrit d’une trentaine d’apprenants français universitaires, débutants du JLE. Les données ont été recueillies par deux types de tests qui demandent, d’une part de compléter des particules dans des phrases à trous et d’autre part de traduire en japonais des phrases françaises. Le premier test comprend une enquête métalinguistique qui demande à l’apprenant d’expliquer ses raisons pour la sélection des particules, ce qui nous permet d’analyser une réflexion et un cheminement de pensée pour le choix des particules.

 

Camille LENOBLE

Aux marges de la sexualité : les « nouveaux kagema » dans le Japon de l’entre-deux-guerres

La communication proposée a pour principal objectif de questionner les représentations associées à l’homosexualité masculine et au travestissement –– plus particulièrement la figure du kagema –– lors de l’entre-deux-guerres japonais. 

Durant la période prémoderne (1603-1867), les kagema étaient de jeunes hommes « travestis » qui offraient des services érotiques à d’autres hommes au sein des maisons de thé. Il s’agissait de mœurs sexuelles normatives, puisque les « jeunes hommes » (wakashu) jouissaient d’une appréciation esthétique –– et érotique –– comparable à celle des femmes, dans le cadre de la « voie des jeunes hommes » (wakashudô). 

Néanmoins, le passage à l’ère Meiji (1868-1912) et la course à la modernité qu’entama le nouvel État-nation japonais relégua la pratique du travestissement à l’immoralité et l’illégalité, tandis que les comportements homoérotiques passèrent entre les mains de la sexologie moderne à l’aune du xxe siècle. Le lexique sexologique remplaça alors les anciens termes de l’époque d’Edo et le travestissement devint le degré le plus extrême de l’homosexualité. Pourtant, de façon surprenante, les années 1920 et 1930 virent réapparaître le terme de kagema dans les revues de la tendance ero-guro-nansensu (« érotique, grotesque et absurde »), ainsi que chez quelques commentateurs sociaux qui décrivirent les ombres de la ville moderne (modan). 

Au travers de ces sources primaires, nous tenterons de comprendre la résurgence de ce vocable ancien et de mettre en lumière l’épiphénomène secret et tabou que constitua le « nouveau kagema » (shin-kagema), figure floue navigant entre modernité et héritage autochtone.

 

Maki MATSUMOTO

Paysage des environs

En 1898, l’écrivain Kunikida Doppo1, résidant du village de Shibuya à l’époque, décrit les paysages des quartiers péri-urbains (machi hazure) : des bois de chênes, des gens, des baraques… Aujourd’hui, ces paysages disparus nous disent beaucoup de choses. D’abord Doppo aurait dû être le premier écrivain au Japon qui a employé le terme banlieue (kôgai) au sens polysémique du terme, et qui a ouvert la fenêtre sur la littérature moderne. Doppo observait la diversité végétale et la cohabitation des gens, paysage ne faisant pas partie de la ville-centre, ni de la campagne, représentant quelque chose d’essentiel pour l’habitat des êtres. Ce paysage des environs nous incite à nous interroger sur la périphérie sous un angle poético-géographique : en quoi consistait le territoire péri-urbain de Tokyo à la fin du XIXe siècle ? Que désignentcertaines scènes et des paroles des gens anonymes, en passant par une zone à une autre ? Quant à la perception de la nature banlieusarde, est-elle liée à la réinvention d’une périphérie ? Nous réfléchirons surces questions en examinant les habitas péri-urbains de Tokyo, sur le surgissement d’un phénomène ou d’un spectacle aux frontières, et sur le rapport entre ce phénomène et l’essentiel comme une vision potentielle de la périphérie, enfin sur la question de savoir si le paysage se montre non comme un référent de la description mais l’enjeu central de l’élaboration littéraire.

 

Claude MICHEL-LESNE

Revue à grand spectacle et désordre social : le procès médiatique de la Revue Takarazuka dans les années 1920 et 1930

Cette communication se propose de revenir sur les accusations de perversion et d’incitation au lesbianisme que certains journaux japonais (Shinnippô, etc.), s’appuyant sur les travaux de pathologistes et de psychiatres, lancèrent à la fin des années 1920 contre la troupe musicale de jeunes filles Takarazuka (Takarazuka shôjo kagekidan), institution de spectacles musicaux bien connue pour la distribution féminine et le caractère travesti de ses productions. 

À partir des recherches de Kawasaki Kenko et Jennifer Robertson sur le sujet, nous comprenons que les journalistes critiquant cette subversion des rôles genrés sur les planches redoutaient essentiellement qu’une extension hors-scène des pratiques travesties influençât les adolescentes en les orientant vers des mœurs jugées « anormales » (hentai), notamment le rejet du mariage ou l’homosexualité. Ces attaques à charge, qui prêtèrent à plusieurs reprises des liaisons saphiques à certaines artistes de la maison Takarazuka, heurtaient naturellement le caractère « sain et moral » que la direction (masculine) de la troupe s’escrimait déjà à lui attacher. 

Devant ce parfum de scandale, nous examinerons également les stratégies de défense de la Revue à travers son organe de communication, le journal Kageki. Au-delà de la recherche du sensationnel à de probables fins mercantiles, ces polémiques contribuent aujourd’hui à nous renseigner sur la perception publique de l’homosexualité féminine dans le Japon des premières années de Shôwa. 

 

Anne-Lise MITHOUT

Faire carrière avec un handicap : Parcours professionnels de travailleurs qualifiés handicapés

Les politiques de soutien à l’emploi des personnes en situation de handicap ont longtemps ciblé essentiellement des emplois peu qualifiés, associant le handicap à un déficit de compétences professionnelles. Toutefois, depuis les années 1990 et le développement de la scolarisation en milieu ordinaire, un nombre croissant de jeunes en situation de handicap accèdent à l’enseignement supérieur, ce qui amène sur le marché de l’emploi une cohorte de travailleurs handicapés qualifiés. 

Quelles sont les trajectoires professionnelles de ces travailleurs ? Leurs qualifications les placent-elles sur un pied d’égalité avec les travailleurs non-handicapés, ou bien le handicap pèse-il sur leurs carrières ? 

Cette communication présente les résultats d’une enquête de terrain menée en 2018 et 2019 avec le soutien financier de la Fondation du Japon. On a interviewé quatorze travailleurs qualifiés (titulaires d’un diplôme universitaire ou d’un diplôme de formation professionnalisante) en situation de handicap. On analyse les difficultés rencontrées par ceux-ci au cours de leur parcours professionnels et les stratégies mises en place pour les contourner (aménagements mis en place par les entreprises ou solutions individuelles), afin de mettre en lumière comment le handicap s’articule avec les possibilités d’évolution de carrière offertes sur le marché du travail japonais.

 

Delphine MULARD

Le corps nu et les scènes de toilette dans la peinture narrative japonaise du début du XVIIe siècle

Un grand nombre de manuscrits à peintures produits aux XVIIe et XVIIIe siècles, anonymes et de facture variable, sont longtemps restés à la périphérie des recherches en histoire de l’art. Ils sont pourtant le lieu de découvertes iconographiques surprenantes.

Notre communication se penchera sur l’une d’entre-elle : celle d’hommes nus prenant un bain. Cette iconographie est présente au sein de manuscrits datés du début du XVIIe siècle comportant des peintures au style plutôt naïf. Les textes associés, s’ils ont pour cadre des établissements de bains ou des lieux propices à la baignade, ne décrivent pas de scène de toilette en tant que telle : ces illustrations prennent donc le conte comme prétexte pour représenter un corps nu. En nous penchant sur le contexte d’apparition d’une telle iconographie, trop souvent associée au contact avec l’Occident et ses peintures de nu artistique, nous expliquerons pourquoi une telle liberté iconographique est possible au début du XVIIesiècle. Nous essaierons d’expliquer les raisons de sa disparition dans les illustrations narratives dans la seconde moitié du XVIIe siècle et sa résurgence dans le champ des estampes érotico-pornographiques (abuna-e et shunga).

Guillaume MULLER

Le Delta du Chang Jiang comme affluent de la littérature japonaise durant la Seconde Guerre mondiale : narrer l’Empire pour changer le Japon

En 1941, un an après avoir quitté la métropole pour s’installer à Shanghai, Tada Yūkei reçoit le prix Akutagawa pour son Chōkō Deruta (Le Delta du Chang Jiang), récit de l’amitié compliquée qui naît entre un Japonais fraîchement arrivé à Shanghai, et un jeune Chinois marqué par la participation de sa soeur aux mouvements d’opposition à la présence japonaise. Le jury du prix était convaincu que le texte avait de l’avenir : si la forme que prend le récit reste classique, l’espace qu’il décrit et surtout les interactions qui s’y jouent inscrivent Chōkō Deruta dans un genre encore naissant, la gaichi bungaku (littérature des territoires extérieurs).
Celui-ci relève indéniablement d’une économie de la domination coloniale, mais démontre aussi une aspiration à voir les Japonais, ainsi que la littérature japonaise, changer par la fréquentation de ces territoires et de leur mise en récit. C’est cette ambiguïté que nous souhaiterions explorer avec Chōkō Deruta : Shanghai la cosmopolite, suspendue entre guerre et paix, semble ouvrir une porte vers une reconfiguration des rapports de domination entre les personnages, mais aussi au sein de l’institution littéraire.

Kenjirô MURAMATSU

Expériences de retour à la terre de Seikatsukurabu dans les environs de Tôkyô : réanimer le fondement du mouvement depuis sa marge ?

Les coopératives de consommateurs japonaises dites Seikatsukurabu (club de la vie) se sont développées depuis la fin des années 1960 à partir de projets d’achat commun et direct d’aliments respectueux de la santé et de l’environnement (Satô, et al., 1995 ; Iwane, 2012). Au fondement du mouvement se trouve une philosophie de Seikatusha, sujet de la vie faite de chaînes d’interdépendance humain – nature, qui, en refusant de se définir comme Shôhisha (consommateur), se veut être une alternative à l’industrialisme et au consumérisme (Amano, 1996).
Mais aujourd’hui, malgré le succès et l’ampleur du mouvement (environ 400 000 adhérents), ce fondement philosophique et collectif semble en péril notamment par la tendance à privilégier la forme de distribution de paniers individualisés, en l’occurrence l’égoïsme des consommateurs
(Nishikido, Kado, 2006). Sur la base de ce constat, nous traiterons ici deux nouvelles expériences de fermes collectives lancées et développées dans les années 2010 par ces coopératives aux environs de Tokyo (Saitama et Tôkyô, enquêtes de terrain effectuées en 2018 et en 2019). Elles effectuent chacune à leur manière un « retour » à l’agriculture et au local non seulement par une tentative d’autoproduction alimentaire, mais au-delà, par une création de lieux d’échanges, d’attachement et de remise en relation de multiples sujets et biens. Ils sont en mesure de réactiver et remettre au centre de leur mouvement de multiples éléments oubliés ou périphériques tels qu’histoire locale, culture et paysage agricole en perdition, légumes oubliés, agriculteurs en difficulté, travail avec des personnes handicapées, petits artisans, etc. Ces tentatives sont-elles en mesure de réanimer le fondement du mouvement coopératif depuis sa marge ? Avec quels enjeux et difficultés ? Pour en discuter, il nous paraît pertinent de revisiter le concept de Seikatsusha (Amano, op.cit.), avec sa possible filiation à la pensée de Seimeishugi (Suzuki, 1995), en comparant avec celui d’écologie et de citoyenneté. Et nous tenterons également de le relier à la sociologie des attachements et/ou du care (Thévenot, 1996 ; Centemeri, 2015 ; 2019).

 

Yayoi NAKAMURA-DELLOYE

Point de vue : centre dans le langage et dans le texte

La notion de point de vue, terme à la fois technique et quotidien, est polysémique. Aussi bien en études littéraires qu’en linguistique, on rencontre au moins deux types d’emplois de cette notion. Cependant ces deux emplois s’articulent autour du sujet parlant, qui se trouve toujours être au centre dans toute activité de langage. Avec le premier emploi (relevant notamment de la théorie de polyphonie de Ducrot), cette notion est synonyme d’attitude et de position, et le sujet parlant exprime son point de vue. Dans le deuxième emploi (relevant de la narratologie), le point de vue, également appelé focalisation, traite de la prise en charge des informations narratives. Le sujet parlant y est l’instance focalisatrice à partir de laquelle sont envisagées les choses.

Notre panel pluridisciplinaire sera constitué de deux exposés, l’un littéraire et l’autre linguistique, qui se croisent sur cette notion à double face de point de vue qu’ils appréhendent avec la question des « centres » : centre dans le langage, dans le texte, ou dans la société.

Ce deuxième exposé du panel se propose d’examiner les problèmes de la notion de point de vue dus à la confusion de concepts distincts et de recourir à la notion de « centre déictique » pour l’analyse du texte. Le centre déictique est l’ancrage de la déicticité selon lequel se calculent les références des expressions déictiques. Tous les énoncés possèdent leur centre déictique défini par rapport au locuteur de l’énoncé qui est le seul élément toujours présent. Mais le centre déictique peut être transposé sur une autre personne. Dans une structure phrastique complexe, le centre déictique de la construction enchâssée n peut être déplacé sur l’expérient de la structure supérieure n-1. Dans un texte narratif, le centre déictique, initialement fixé sur le narrateur, peut être transposé sur l’un des personnages. Ce déplacement du centre déictique pourrait expliquer l’annulation de la restriction sur la personne des prédicats subjectifs japonais dans les textes narratifs, discutée notamment dans Kuroda (1973). Cette étude ambitionne d’apporter une contribution à la conception d’outils linguistiques permettant des analyses objectives des textes.

 

Chika NINOMIYA

Le geste de pointage en Silent Way. Un outil catalyseur de l’attention au service de l’apprentissage du japonais

C’est avec Léon de Rosny – premier titulaire d’une chaire de japonais à l’Ecole des langues orientales – qu’a débuté l’enseignement de la langue japonaise en France dans la deuxième moitié du XIXème siècle. Un siècle et demi plus tard cet enseignement a évolué avec l’histoire des approches pédagogiques et des politiques d’enseignement des langues étrangères. Il existe aujourd’hui une multitude de propositions didactiques pour enseigner/apprendre le japonais, dont l’une des plus centrales est certainement celle développée par la fondation du Japon et issue du projet JF Standard.
En périphérie de ce type de méthodes inspirées par le CECRL et sa perspective actionnelle, d’autres manières de penser l’enseignement des langues étrangères sont possibles. Parmi celles-ci, l’approche Gattegno – dite « Silent Way » lorsqu’elle s’applique à l’enseignement des langues – propose de « subordonner l’enseignement à l’apprentissage ». Cette vision de la relation enseignement/apprentissage évoque les années 60 et les pédagogies « actives », « centrées sur l’apprenant ». Peut-elle apporter quelque chose à l’enseignement du japonais au XXIème siècle ? Dans ma communication je présenterai mes travaux de recherche sur ce sujet, et j’essaierai d’évaluer la valeur de l’approche Silent Way en tant que pratique périphérique.

 

Sophie NIVOIX et Serge REY

Caractéristiques culturelles et marchés financiers : une comparaison entre le Japon, la Corée du sud et la Chine

Les spécificités culturelles du Japon par rapport à ses principaux voisins ont été abordées dans de nombreux champs disciplinaires, tout comme les grands événements qui ont construit leurs relations politiques et militaires au fil des siècles. De même, l’histoire des miracles économiques japonais depuis les années 1950, sud-coréen depuis les années 1980 et chinois depuis les années 1990, a donné lieu à une multitude d’analyses. Toutefois, les relations entre les caractéristiques culturelles et la situation de marchés financiers de ces trois pays ont été peu analysées.

L’objectif de cette recherche consiste à examiner dans quelle mesure des facteurs culturels communs ou divergents ont contribué aux trajectoires financières et aident à leur compréhension. Notre démarche comporte à la fois des variables qualitatives, inhérentes à la variété des mesures des aspects culturels et à la diversité des méthodes qui les sous-tendent, et des variables quantitatives, représentatives des deux principaux piliers d’un marché financier, à savoir son risque et sa rentabilité. Il s’agit non seulement de détecter si une association existe entre certaines dimensions culturelles et les caractéristiques boursières des marchés des actions, mais également d’examiner si une telle association se révèle similaire d’un pays à l’autre.

 

Martin NOGUEIRA RAMOS

Répertorier pour mieux corriger : L’étude des mœurs de la région de Nagasaki par les missionnaires français (fin des années 1870)

Les missionnaires français, présents en nombre au Japon dès les années 1860, ont contribué, par leurs écrits, à faire connaître l’archipel à leurs compatriotes. Leurs relations de séjour étaient, avec celles écrites par des laïcs, très prisées du lectorat occidental ; elles sont bien connues de la recherche. On sait moins par contre que les missionnaires ont aussi rédigé des rapports confidentiels extrêmement précis sur les mœurs de leurs premiers convertis. Ces travaux, qui sont aujourd’hui conservés à Rome et à Paris, n’avaient aucune finalité scientifique : il s’agissait pour le clergé de dresser « une typologie des défauts » de ses fidèles afin de les guider plus efficacement au salut. À la fin des années 1870, alors que le Japon compte près de 20 000 catholiques résidant essentiellement dans la région de Nagasaki, ce genre de document se multiplie : les missionnaires, qui pour certains sont parvenus à s’installer à la campagne, peuvent observer de visu la vie villageoise au Japon. Cette communication portera sur un cahier manuscrit d’environ 400 pages conservé aux Missions étrangères de Paris intitulé Notes de Mgr. Laucaigne sur les coutumes du Japon (vol. 601 des archives). Ces notes ont été prises en français et en japonais au début de l’année 1879 ; elles offrent un aperçu unique du quotidien des communautés catholiques et témoignent de l’obsession classificatoire de certains prêtres qui étaient convaincus que le diable était dans les détails.

 

Tomomi OTA

Poésie et prose comme « errance » entre valeur symbolique et économique : de Hayashi Fumiko (1903-1951) à Osaki Midori (1896-1971)

Hōrōki (Jours d’errance, 1930 et 1949) de Hayashi Fumiko, composé des fragments de son journal tenu entre 1922 et 1926 et de ses poèmes, nous offre un certain aperçu sur le milieu des poètes japonais des années 1920 (femme poète Tomoya Shizue, poète avant-gardiste Hagiwara Kyōtarō, etc.). La position de la poésie dans le champ littéraire se trouve, selon l’analyse de Pierre Bourdieu, au pôle économiquement dominé ou « périphérique » au regard de la valeur commerciale, mais au pôle symboliquement dominant ou « central » du point de vue du prestige ou de la valeur artistique.
Toutefois ce qui est « périphérique » et « central » n’est pas figé mais mobile ; il peut évoluer dans le temps et dans la trajectoire d’un écrivain, qui au fil de sa carrière littéraire peut errer entre les genres littéraires. Et c’était le cas de Fumiko, qui connait un succès commercial avec son livre Hōrōki publié en 1930. Le secteur de l’édition prospère en effet à partir du début des années 1920 et par exemple Shimada Seijirō, évoqué dans Hōrōki, connait un immense succès avec son roman Chijō (Sur terre) publié entre 1919 et 1922. Mais la prose n’est pourtant pas le synonyme de la réussite financière. Osaki Midori, avec qui Fumiko s’est liée d’amitié, reste sans succès, autant économique que symbolique, durant les années 1920 et 1930, et tombe dans l’oubli avant d’être redécouverte à la fin des années 1960.
Hōrōki de Hayashi Fumiko étant pris comme fil conducteur, nous allons étudier dans cette communication le rapport de tension ou d’osmose entre le central et le périphérique dans les productions littéraires des années 1920-1930.

 

Marie PARMENTIER

Ordre cosmique et ordonnancement scientifique : quelques réflexions autour de la notion de polychromie au Japon

Si l’œil moderne est éduqué, dès l’école, aux sept couleurs de l’arc-en-ciel (auquel on s’accordera à donner un abord sans doute plus séduisant que le concept physique de couleurs prismatiques issues de la décomposition de la lumière blanche qu’il sert à illustrer), il l’est sans doute tout autant – quoi que de manière moins institutionnelle – aux cinq couleurs des amulettes qu’on accroche parfois aux cartables.

Or, ces séquences polychromes, qui présentent comme point commun le fait de mêler les mêmes couleurs, et selon un même ordre, loin d’être anodines, constituent une sorte de résumé à elles seules de la manière d’appréhender le phénomène-couleur à un endroit donné et à un instant t. Notre propos vise donc à déconstruire ces archétypes colorés pour comprendre, à partir de leur origine et de leur nature, la représentation mentale qui les sous-tend.

Notre enquête reviendra à cet effet aux sources de la coexistence moderne des deux modèles précités, c’est-à-dire à l’époque d’Edo et à l’ère Meiji, qui se partagent alors entre l’ordre cosmique établi des Cinq Couleurs et le nouvel ordonnancement scientifique des Sept Couleurs du prisme selon Newton.

Cléa PATIN

Aux origines de la domination d’un géant de la facture instrumentale : le cas de Yamaha

Yamaha, dont l’activité première s’ancre dans la fabrication d’instruments de musique, est aujourd’hui l’un des principaux facteurs de pianos au monde, avec la production de plus de 130 000 unités par an. Entre 2008 et 2016, son chiffre d’affaires en Europe a plus que doublé, passant de 247,6 à 577 millions d’euros. Sa notoriété lui permet de concurrencer de front le fleuron français de la facture instrumentale, Buffet Crampon, sur son propre terrain des instruments à vent, tout en occupant le marché chinois. Comment expliquer une telle force de frappe à l’international ? Par ailleurs, à l’heure où les industries culturelles se développent prioritairement sur des marchés de niche, comment la firme parvient-elle à éviter une spécialisation trop poussée, en restant présente sur toutes les branches et dans tous les niveaux de gamme du marché ? Fondée en 1889, Yamaha peut certes s’enorgueillir d’une longue histoire, mais l’expérience de Pleyel montre que les plus vénérables maisons, face à une concurrence commerciale très forte, peuvent être menacées par la faillite. En outre, la scission de la firme au moment de la création de Yamaha Motor (Yamaha hatsudōki) pose aussi des questions identitaires qui ne sont pas évidentes à gérer. Nous aborderons donc, dans un premier volet historique, les atouts et les difficultés que l’entreprise a rencontrés au cours de sa croissance. Ensuite, à partir d’une visite d’usine, ainsi que des entretiens au sein de la maison mère et auprès de concurrents, nous nous focaliserons sur les stratégies actuelles de développement, qui doivent faire face à de nouveaux défis : le changement des contraintes réglementaires concernant l’utilisation de certains matériaux (bois exotique, ivoire, etc.), la nécessité de délocaliser une partie de la production tout en s’assurant le maintien d’un savoir-faire haut de gamme sur le territoire japonais et enfin la captation en amont des innovations technologiques. Enfin, nous verrons comment la longévité de la firme tient particulièrement à sa capacité à créer la demande – une clientèle captive – via la gestion d’un réseau d’enseignement musical à la fois dense et efficace.

 

Damien PELADAN

La piraterie, moteur de l’innovation navale au Japon ? ( fin du xive et début du xve siècle)

Beaucoup de travaux se sont intéressés à la piraterie japonaise sur le continent, que ce soit au sujet de la composition ethnique de leurs équipages, de l’implication des pouvoirs féodaux, de leur impact économique en Corée et en Chine, des conséquences diplomatiques de leur activité, etc. En revanche, bien peu se sont intéressés aux principaux outils de l’activité pirate : les navires. Pourtant, la première grande vague de piraterie japonaise en mer de Chine, entre 1350 et 1419, coïncide avec la diffusion de nouveaux types de navires à travers le Japon. Alors que jusque vers le milieu du xive siècle, les navires japonais étaient somme toute de grandes pirogues agrémentées de bordés, d’une cabine et d’un mât, les nouveaux navires qui firent leur apparition au début du xve étaient entièrement faits de planches et permettaient de tripler, voire quadrupler leur capacité d’emport. Compte tenu de la coïncidence chronologique entre le développement de ces nouveaux navires et le pic de l’activité pirate, on est en droit de se demander si les deux phénomènes ne furent pas liés.

La présente communication vise ainsi à comprendre, dans la mesure de ce que les sources textuelles et les données archéologiques nous permettent de déduire, les raisons de cette évolution navale soudaine à l’aune de l’activité pirate sur le continent. Ce faisant, nous espérons démontrer que si la piraterie fut à bien des égards une force destructrice, elle fut aussi à l’origine d’innovations techniques qui eurent de profondes répercussions sur la culture matérielle du Japon.

 

Thomas PELLARD

Retour sur la théorie des aires dialectales périphériques de Yanagita Kunio

Yanagita Kunio 柳田國男(1875–1962), en plus de son rôle fondateur dans la formation de l’ethnologie japonaise, est également l’un des pionniers de la dialectologie japonaise. Ses Réflexions sur l’escargot (Kagyūkō 蝸牛考) de 1927 constituent en effet une contribution majeure visant à expliquer le mécanisme de diffusion spatiale des innovations linguistiques et ses facteurs socioculturels.
S’appuyant sur les principes de la diffusion des traits linguistiques par rayonnement ondulatoire (Schmidt 1872) et de la continuité des aires linguistiques (Dauzat 1922), Yanagita énonce sa théorie des « aires dialectales périphériques » (hōgen shūkenron 方言周圏論) sur la base de la distribution des noms de l’escargot dans les dialectes japonais : les formes sont distribuées en cercles concentriques autour de Kyōto, avec les formes les plus récentes situées au centre et des formes de plus en plus anciennes à mesure que l’on s’éloigne vers la périphérie, et cette distribution s’explique diachroniquement par des vagues successives d’innovations du centre vers la périphérie.
La dialectologie de Yanagita a été critiquée pour son romantisme et son ignorance de la notion de système linguistique (Ramsey 1982), et sa théorie des aires périphériques n’est pas applicable uniformément à tous les aspects linguistiques. Elle demeure néanmoins un principe explicatif valide et reconnu, et la distribution des noms de l’escargot est considérée comme un cas d’école qui figure dans l’ensemble des manuels japonais. Toutefois, la distribution en cercles concentriques est loin d’être évidente sur la carte fournie par Yanagita, et les manuels de dialectologie se contentent de reprendre un schéma simplifié. L’examen de cartes dialectologiques plus récentes et détaillées ne révèle pas non plus une structure claire (Ōnishi 2016a). La présente communication se propose de réanalyser les données de Kagyūkō et d’atlas linguistiques postérieurs (Kokuritsu Kokugo Kenkyūjo 1966–1974 ; Ōnishi 2016b) à l’aide de techniques modernes de visualisation dialectométriques (Goebl 2011) et d’analyses statistiques spatiales afin de déterminer la validité de l’hypothèse de Yanagita sur les noms de l’escargot, un des fondements empiriques de la dialectologie japonaise.

 

Gérald PELOUX

Quand les marges prennent le pouvoir éditorial – les rubriques humoristiques de la revue Shinseinen –

La revue Shinseinen (1920-1950) est encore aujourd’hui largement considérée comme la revue qui a mis en place durant l’entre-deux-guerres le genre policier avec des noms aussi prestigieux qu’Edogawa Ranpo ou Yokomizo Seishi. La modernité de la revue, autre aspect mis en avant, l’est souvent à travers ses rubriques sur la mode (Vogue en Vogue [Vogan vogu]), le cinéma (Chic ciné sick [shikku shine shikku]), le sport (Sport Shinseinen [Supōtsu Shinseinen]), etc. Cette production, parfois éphémère, aux titres instables, permit dans un premier temps de compléter les pages de la revue, remplissant les marges laissées par les productions « plus sérieuses ».
Parmi ces rubriques, celles s’appuyant sur la verve humoristique vont prendre une ampleur inédite et devenir l’image de marque de la revue à partir de 1927. Aux formes très variées, ces vignettes réemploient des dessins, des jeux de journaux et magazines étrangers, proposent des micro-nouvelles, voire des conseils aux lecteurs, souvent sous l’étiquette du nansensu (nonsense), tandis que le genre du conte à la Alphonse Allais s’impose. Tout cela participe, avec également des dossiers spéciaux (Cami, Tristan Bernard, P.G. Wodehouse, etc.), à la mise en place d’un véritable champ littéraire de l’humour.
Au cours de cette communication, après avoir analysé comment s’installe et se développe cette littérature humoristique – littéralement marginale – pour en arriver paradoxalement à devenir, pendant quelques années, la vitrine de Shinseinen, nous voudrions proposer une typologie de l’humour présent dans cette revue à la fin des années 1920 et au début de la décennie suivante.

 

Nicolas PINET

Associations d’immeubles dans les quartiers d’habitat social de Tokyo : autonomie et hétéronomie en milieu populaire

Les associations de quartier ou d’immeuble constituent des formes d’organisation collective dont les prérogatives s’exercent sur un territoire délimité – un ou plusieurs immeubles, un ou plusieurs pâtés de maison – et qui, par leur proximité, constituent un pouvoir à la fois concret, à « visage humain » et accessible puisque les charges tournent entre les habitants.

S’appuyant sur une ethnographie menée pendant 4 ans dans un grand ensemble d’habitat social du Nord-Est de Tokyo, d’abord en tant que simple résident, puis en tant que membre du comité permanent de l’association d’immeuble, cette communication s’intéressera aux dynamiques individuelles et collectives induites par le fonctionnement de ce type d’organisation, tant en son sein même que dans la communauté des habitants et l’espace urbain correspondant.

 

Cyrian PITTELOUD

L’exploitation des ressources naturelles dans les périphéries à la fin du XIXe siècle. Vers une perte d’autonomie ou un renforcement des solidarités locales ?

À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, l’industrialisation du Japon s’est appuyée sur une intense mise en valeur des ressources naturelles de l’archipel. Par définition, une partie de celle-ci a pris place dans les régions périphériques, que ce soit dans le cas de l’extraction minière ou de l’exploitation des stocks forestiers ou halieutiques, par exemple. Si le développement industriel du pays a été analysé en détail, commenté et souvent vanté, on ne peut en dire autant de ses conséquences pour l’environnement et pour la population. Longtemps cantonné à la marge, il a fallu attendre les années 1960 pour que le sujet bénéficie d’une plus grande attention.

Cette présentation s’intéresse au sort des communautés face aux conséquences sociales et environnementales de l’exploitation des ressources naturelles à la fin du XIXe siècle. Comment les problèmes causés par la pollution s’insèrent-ils dans les rapports entre centre et périphéries ? Sont-ils une occasion pour le gouvernement d’affermir son contrôle ou assiste-t-on à un renforcement des solidarités locales pour parer à la défaillance étatique ? En s’attachant à l’affaire de la mine de cuivre d’Ashio, on tâchera d’analyser dans quelle mesure une catastrophe industrielle peut accélérer ou freiner des processus initiés par la modernisation, tels que la centralisation, l’exode rural, ou la dislocation des liens communautaires.

 

Maria Elena RAFFI

La province dans le Roman du Genji : l’exemple de la Dame d’Akashi

À l’époque de Heian, les relations entre centre et périphéries se traduisaient en un rapport entre la capitale, siège de la cour impériale et de la haute noblesse, et les provinces, gouvernées par l’aristocratie de rang moyen. Nous proposons de mettre en avant et d’analyser à travers le Roman du Genji l’importance au niveau social, politique et psychologique de ce rapport qui, dans une société réglée par le canon esthétique du raffinement courtois, se reflétait dans un contraste entre les deux valeurs du miyabi (élégance et raffinement de la cour) et du hinabi (provincialisme, rusticité). Nous nous concentrerons plus particulièrement sur le personnage de la Dame d’Akashi, issue comme l’auteur du roman, Murasaki Shikibu, de la classe des zuryô (gouverneurs des provinces). Son père était originaire d’une grande famille aristocratique de la capitale, mais s’était retiré en province pour en devenir gouverneur, fonction bien rémunérée mais de faible prestige social et politique. Nous préciserons la portée symbolique du récit tissé autour de ce personnage féminin, des ambitions de revanche sociale de son père et de l’exil du prince Genji, dans la mesure où cet épisode se superpose au voyage initiatique du héros-souverain de la mythologie qui prend le contrôle des territoires en se liant à des femmes des provinces.

 

Kanae SARUGASAWA

Agentivité des sujets vulnérables : Le cas des femmes en situation de handicap dans le travail du sexe

En 2013, un reportage de la NHK a averti le public d’une réalité méconnue : il ne serait pas rare que des femmes précaires en situation de handicap – notamment celles souffrant des troubles des fonctions cognitives – se trouvent dans l’industrie du sexe pour gagner leur vie. Ce reportage a certes eu le mérite de dénoncer la gravité de la pauvreté existant dans l’archipel, mais cela, au prix d’une disqualification de ces femmes en postulant leur aliénation psychologique.

Si ces cas exposent l’exclusion de ces femmes du marché du travail « normal » et le dysfonctionnement du système de protection sociale, une motivation uniquement financière ne peut résumer complètement le processus selon lequel elles se sont engagées dans une telle activité. Dans un contexte où la sexualité d’une femme « handicapée » est fréquemment vue comme celle dont le consentement est impossible et chacune de ses expériences sexuelles comme une agression, comment comprendre ce phénomène sans raccourci misérabiliste et sans jamais minimiser les facteurs de vulnérabilité qu’elles subissent ?

À travers l’analyse d’une série d’entretiens réalisés en janvier 2020, en considérant la parole des personnes concernées comme importante et en l’envisageant dans l’ambiguïté constitutive, cette communication tentera de situer leur agentivité – ce que Judith Butler désigne comme « la capacité de faire quelque chose avec ce qu’on fait de moi » – dans un contexte de contraintes structurelles.

 

Grégoire SASTRE

Le Tōadōbun Shoin : Production d’un savoir à la jonction entre le militaire, le politique et l’économique

Au début de l’ère Meiji, les réalités sociales, politiques et économiques de la Chine sont mal connues au Japon, il n’existe pas de production écrite, scientifique pourrait-on dire, permettant de comprendre clairement le fonctionnement de ce pays. Servant des objectifs différents, les institutions japonaises comme le ministère des Affaires étrangères, l’Armée et la Marine entreprennent de rassembler des renseignements sur la Chine, qui, dès l’instauration du régime de Meiji se trouve au centre de tensions diplomatiques et militaires, notamment autour de Taiwan et de la Corée.

Dans ce cadre, sont envoyés en Chine des agents de renseignements, l’un d’entre eux, Arao Sei 荒尾精 (1859-1896), fonde en 1890 à Shanghai le Centre de recherche sur le commerce sino-japonais 日清貿易研究所 dont le but est de former des jeunes sur le fonctionnement des échanges commerciaux en Chine ainsi que de produire de nouvelles connaissances sur cette dernière. De cette expérience, qui prend fin avec le déclenchement de la guerre sino-japonaise en 1894, naît en 1901 le Tōadōbun shoin 東亜同文書院. Sise à Shanghai, ses étudiants produisent une masse importante de renseignements concernant la Chine. Eux-mêmes, une fois leurs études terminées deviennent des hommes d’affaires, des diplomates, des universitaires et des militaires spécialistes de la Chine. Il s’agira d’exposer la nature et l’importance de la production de renseignements du Tōadōbun shoin ainsi que le rôle des diplômés de l’école dans la construction des rapports entre le Japon et la Chine.

 

Sandra SCHAAL

Cachez ces mœurs que nous ne saurions voir ! Du lesbianisme dans les faits divers journalistiques du Japon moderne

Au Japon, l’existence même d’une homosexualité féminine fut, jusqu’au début des années 1910, entièrement niée.

Le lesbianisme (josei / joseikan / josei no dôseiai ou dôsei no ai) comme catégorie sexuelle émergea en 1911, à la suite de deux suicides amoureux entre jeunes femmes qui, rapportés à grand frais par la presse, interpellèrent l’opinion publique. Le premier cas impliquait deux serveuses de café de Tôkyô qui se jetèrent dans la rivière Tamagawa et furent sauvées de la noyade par un officier de police. Le second cas s’avéra plus retentissant dans la mesure où les protagonistes, dont les corps furent retrouvés sur une plage de Niigata, étaient des jeunes filles de bonne famille diplômées d’un lycée pour filles. L’Association pour l’éducation des filles s’émut de ces « effroyables amours homosexuelles » (osoru beki dôsei no ai), conduisant médias et pédagogues à se saisir de la question pour discuter d’un phénomène que l’on entrevoyait désormais comme problématique.

Pour ce faire, notre communication s’attachera à décrypter la perception du lesbianisme et de la pratique du travestissement en homme, tout comme leur évolution, au travers de leur forme de représentation principale –– les faits divers –– dans deux grands quotidiens de l’époque moderne : le Asahi shinbun et le Yomiuri shinbun.

 

Sonia SILVA

Entre exigences institutionnelles et attentes des parents : le cas particulier de l’enseignement du japonais au Lycée français International de Tokyo

Entre directives institutionnelles et attentes des parents, le Lycée Français Internationale de Tokyo (LFIT) fait face à des questions propres aux établissements d’enseignement français à l’étranger. En effet, l’éducation nationale fixe les objectifs à atteindre, en ce qui concerne l’apprentissage des langues étrangères, en fonction du cadre européen commun de référence des langues (CECRL). Or, celui-ci soulève des interrogations relatives à son adéquation aux langues qui nécessite l’apprentissage d’un nouveau système d’écriture tel que le japonais. D’autre part, les familles qui constituent le LFIT sont très diverses et ont chacune des attentes différentes, notamment en ce qui concerne l’apprentissage des langues. Plus précisément, les familles dont au moins l’un des parents est japonais aimeraient que leurs enfants soient bilingues. Ces attentes ont conduit le LFIT à offrir des parcours de langues variés, dont certains proposent des cours de japonais dès la maternelle pour aboutir à la section internationale japonais. 

Dans le cadre de cette présentation, je vous propose de faire une analyse comparée du CECRL et des directives de l’éducation nationale concernant le japonais, puis de celle-ci avec les différents parcours offerts par le LFIT, afin de déterminer comment le LFIT et ses enseignants de japonais se sont adaptés à ces différentes exigences.

 

Macha SPOERHLE

De la poésie à l’ethnologie : utopie et exotisme dans la représentation des populations marginales chez Orikuchi Shinobu, entre 1920-1930

L’étude d’une culture donnée, pouvant être située en périphérie d’une société, est en général considérée comme l’apanage de l’anthropologie ou de l’ethnologie, selon la méthode et l’objet. Dans la tradition occidentale, le chercheur est ainsi généralement étranger à son terrain de recherche. Or, dans le cas des premiers ethnologues japonais, les conditions sont bien différentes. En effet, le chercheur, qui a pour terrain l’archipel (prétendu homogène, car centralisé), fait partie de la société dont il cherche à étudier certains aspects.

Dans le cas de Yanagita Kunio (1875-1962) et d’Orikuchi Shinobu (1887-1953), l’ethno-folkloriste est natif, malgré lui, de la société qu’il observe et des traditions qu’il recense ; il se trouve donc tout à la fois, à l’intérieur et en dehors du terrain. Ce paradoxe apparent leur a permis de mettre en lumière des enjeux importants. En effet, c’est bien parce qu’ils se sont intéressés à la périphérie de leur propre nation, centralisée autour de la figure impériale, que les premiers ethnologues japonais ont pu y déceler des « marges », qui sont autant d’élément pouvant ébranler le centre dont il est question.

Ces marges peuvent être analysées sur plusieurs plans : historique, sociogéographique, ethnique, religieux et enfin littéraire, pour ne citer que les principaux. Nous proposons une étude de la représentation de certaines populations, dites marginales, à partir d’un corpus fait de travaux et d’essais ethnographiques, mais aussi d’œuvres littéraires (tanka), écrites entre 1920 et 1930 par le poète et ethnologue, Orikuchi Shinobu. Nous aborderons aussi la question de la place accordée à la production de tanka des ethnologues japonais (Orikuchi et Yanagita).

 

Fumi SUEMATSU

Du « Bidonville Okinawa » à « Little Okinawa » : un changement de perception d’un quartier okinawaïen dans la ville d’Ōsaka

Dans son histoire Ōsaka a connu plusieurs vagues de migration de population originaire d’Okinawa. L’arrondissement de Taishō, appelé « Little Okinawa » a été le point d’arrivée et d’installation pour ces migrants depuis les années 1920. En 2018, environ un quart de population de cet arrondissement est originaire d’Okinawa. Avec le « Boom Okinawa » autour des années 2000, Taishō se transforme brutalement. Aujourd’hui, l’arrondissement met en avant cette identité okinawaïenne comme sa particularité. Avant ce phénomène, l’arrondissement était connu comme quartier okinawaïen mais avec une image complètement différente de celle présentée aujourd’hui, celle d’un quartier insalubre.
Nous chercherons à mettre en lumière les acteurs et les enjeux de l’évolution de la perception d’Okinawa de la fin des années 1960 à nos jours. A cet effet, nous analysons principalement des sources primaires comme des articles de presses, des rapports associatifs, des documents administratifs, complétés de témoignages des habitants originaires d’Okinawa à Taishō après des enquêtes de terrain effectuées en 2002 et 2017.

 

Fumiko SUGIE

Une écriture « excentrique » : l’exemple de Furukawa Hideo

On s’intéressera, dans cette communication, à l’œuvre de Furukawa Hideo sous le prisme de la problématique « périphéries et centres ». Né en 1966, c’est un écrivain difficile à situer dans le champ littéraire, s’inscrivant dans une topographie fluide qui n’est ni centrale ni périphérique. Son œuvre prolifique, souvent qualifiée d’hybride et d’« excentrique », exprime la paratopie, l’impossible localisation, plus nettement encore depuis la catastrophe de 2011 qui place le romancier dans une position ambivalente entre Fukushima, sa terre natale, et Tôkyô où il réside. S’il s’est immédiatement emparé de l’événement avec Ô chevaux, la lumière est pourtant innocente (2011), texte à mi-chemin entre le réel et l’imaginaire, Furukawa semble continuer de chercher sa distance dans ses fictions ultérieures. Une œuvre récente, Gusukôbudori no taiyôkei (Le Système solaire de Gusukôbudori, 2019), variation à partir des contes de Miyazawa Kenji, offre un cas singulier. Ce texte alternant nouvelles et essais est certes marginal dans la production romanesque de l’auteur, mais révèle néanmoins une écriture dynamique et théâtrale qui s’investit dans une réflexion sur l’éthique en temps de catastrophes. Nous proposons ici d’examiner l’« excentricité » de la création de Furukawa à partir des deux textes cités en tentant de mesurer aussi les effets de lecture, dans le contexte particulier des années 2010 – 2020.

 

Seiko SUZUKI

La représentation du gagaku dans les années 1970 : entre ethnicité et universalité

En 1955, le gagaku est nommé « bien culturel important du pays ». Selon le Comité pour la protection des biens culturels du ministère de l’Éducation, seul le département de gagaku de l’Agence impériale peut exécuter authentiquement cette musique « nationale » et « universelle ». Il me semble que c’est la raison pour laquelle, à cette époque, les compositeurs de « musique contemporaine » de style européen au Japon commencent à considérer le gagaku comme une « musique japonaise » ou « musique ethnique » plus qu’avant-guerre, ceci par rapport à leur « musique contemporaine » ou « musique universelle ».

Dans les années 1970, en parallèle au mouvement social, on trouve un mouvement musical qu’on pourrait qualifier de « retour vers le Japon ». Dans ce contexte, Kido Toshirō, directeur musical du théâtre national, demande des créations musicales en utilisant le gagaku aux compositeurs de « musique contemporaine » comme Mayuzumi Toshirō, Takemitsu Tōru, Karlheinz Stockhausen ou Jean-Claude Eloy. Leurs créations réussissent à faire reconnaître le gagaku dans le monde de la « musique contemporaine » à l’extérieur du Japon. 

Certes, le discours de Kido sur la reconstruction de la tradition sert à renforcer la légitimité d’un Etat-nation, mais il veut libérer et démocratiser le gagaku de l’Agence impériale pour l’universaliser.

Dans cette intervention, j’aimerais analyser la représentation du gagaku dans les années 1970 en mettant l’accent sur les changements intervenus autour des notions d’« ethnicité » et d’« universalité » dans le domaine musical.

 

Naoko TOKUMITSU

Associations de quartier dans les quartiers périurbains : outil de reconnaissance pour les commerçants locaux ou instrument d’un maillage sécuritaire ? Le cas de la ville de Sakai à Osaka

À travers l’étude des associations de quartier, la présente communication vise à réfléchir à la place des commerçants locaux au sein de leurs quartiers dans les espaces faisant l’objet d’un processus de rénovation urbaine. En prenant appui sur une enquête de terrain (entretiens semi-directifs et observations directes) réalisée dans une ville de banlieue à Osaka, nous analysons comment ces commerçants, se sentant marginalisés par rapport au reste du marché économique, essaient de revendiquer davantage de démocratie à leur échelle. Ceci permet de réfléchir sur la manière dont ces commerçants renforcent le lien avec le parti régional « Osaka Ishin no kai » ainsi qu’aux conflits qui naissent entre autorités locales et riverains autour de la notion de démocratisation.

 

Ioan TRIFU

Le grand dévoilement ? Cartographier centres et périphéries à travers la politique des catastrophes au Japon.

En dépit d’efforts massifs dans la prévention et la gestion des risques, le Japon est encore régulièrement confronté à des catastrophes aux conséquences coûteuses du point de vue humain et matériel. Mais si aucun endroit de l’archipel n’est véritablement à l’abri, ce sont certains groupes sociaux et territoires qui se retrouvent disproportionnellement victimes lorsque le désastre se produit. Loin d’être naturelles et égales pour tous, les catastrophes tracent la carte, spatiale et sociale, des centres et périphéries du pays en révélant brutalement les failles et les biais des politiques publiques. Pour autant, elles entraînent aussi des moments de solidarité, voire de mobilisations sociales, qui traversent les frontières établies alors qu’un discours politique et médiatique vante les liens qui unissent la nation toute entière. Conjonctures politiques fluides, les catastrophes permettent-elles de redéfinir centres et périphéries en jetant une lumière crue sur les vulnérabilités de la société ? Ou, au contraire, renforcent-elles les distinctions existantes ? En se basant sur plusieurs études de cas, analysées sous l’angle de la sociologie politique, cette communication vise à saisir ce que la politique japonaise des catastrophes nous dit de la cartographie conflictuelle des centres et périphéries du pays.

 

Rie URASOKO

Une étude comparative des changements accentuels dans les dialectes de Tokyo et de Keihan

Le japonais est riche en variétés accentuelles dialectales. Les types dits Tokyo et Keihan se caractérisent chacun par différents traits accentuels. Le type Keihan est un système accentuel plus complexe que le type Tokyo. Je m’intéresse aux différents phénomènes accentuels qui se développent parallèlement au sein de ces deux systèmes, plus particulièrement aux facteurs phonologiques gouvernant ces phénomènes. Les systèmes accentuels de ces deux variétés sont assez nettement différents, mais pourtant les facteurs phonologiques à l’origine de certaines évolutions actuelles partagent certains points communs.
Dans le dialecte de Tokyo, on observe une tendance à la désaccentuation (heibanka genshô). J’ai examiné les facteurs phonologiques déterminant ce phénomène à l’aide des rapports fournis par l’éditeur NHK (Ota 2016; Shioda 2016a et b, 2017) suivant différents critères tels que longueur des mots ou accent originel. Le résultat que j’ai obtenu montre que: i) l’accent pénultième et final sont les plus affectés, autrement dit ils perdent leur accents, ii) l’accent antépénultième résiste, c’est-à-dire il reste robuste face à ce phénomène.
Dans le dialecte de Keihan, en revanche, on observe le phénomène d’un déplacement du patron accentuel vers la position initiale (shôkaku genshô) (Sanada 2001; Sato 2003). Bien que ce phénomène ne concerne pas la désaccentuation, l’accent originel concerné est pénultième. De plus, l’accent final est en principe peu présent dans le type Keihan (Matsumori, 2012). Une autre tendance concerne l’accent antépénultième qui remplace le patron atone lorsqu’une certaine condition phonologique est remplie (Sanada, 2001). On peut constater les deux points communs sur l’évitement de l’accent pénultième et final et la robustesse de l’accent antépénultième malgré la nature différente de ces deux systèmes et des changements accentuels.

 

Delphine VOMSCHEID

De Kanazawa à Edo : pratiques de l’habiter dans l’architecture palatiale de la maison Maeda à l’époque d’Edo

Le système sankin kōtai, qui oblige les seigneurs féodaux (daimyō) à séjourner à la capitale Edo une année sur deux, nous invite à interroger le rapport entre le centre (Edo) et les périphéries (les provinces). En prenant comme cas d’étude la maison Maeda établie dans la ville de Kanazawa (province de Kaga), cette communication questionne les relations et les influences que ces séjours prolongés à la capitale ont entraînées dans les pratiques architecturale et paysagère.
À partir de l’étude de trois palais (le palais Ninomaru du château de Kanazawa, le palais Takezawa érigé dans le jardin Kenrokuen à Kanazawa, et le palais Hongō construit à Edo), dont les fonctions sont directement liées au fonctionnement de la société prémoderne, ce travail permettra de révéler la matérialisation des contingences de l’étiquette guerrière, des réglementations architecturales et urbaines (mises en place à Edo en particulier) et des goûts particuliers des seigneurs Maeda. L’analyse de documents graphiques inédits devrait permettre, d’une part, l’étude des modes de représentations de l’architecture palatiale à l’époque d’Edo (plans polychromatiques, maquettes, dessins de détails d’architecture, etc.) et, d’autre part, la compréhension des différents modes d’habiter d’une grande famille seigneuriale. Le statut et l’exceptionnelle richesse des Maeda permettaient l’édification de palais somptueux, aux décors les plus fastes. Leur culture, en particulier leur intérêt pour le théâtre nō, entraîne par exemple la construction de plusieurs scènes dans les palais. Enfin, cette étude devrait permettre de mesurer les échanges – sur le plan culturel, architectural et paysager – entre la capitale militaire Edo et les provinces. Les pratiques architecturales et paysagères pratiquées par les daimyō à Edo ont-elles influencé celles de Kanazawa ? Si oui, de quelles manières ? L’identité architecturale des Maeda est-elle différente à Edo de celle en vogue à Kanazawa ? Les règles architecturales et urbaines mises en place par le bakufu à Edo entraînent-elles l’apparition de pratiques et de styles typiques de la capitale ?

 

Elise VOYAU

De Tokyo à Okinawa : Regards croisés de photographes des années 1960 et 1970

Dans les années d’après-guerre au Japon, les photographes, suivant le mouvement global des populations, se sont massivement concentrés à Tokyo. La capitale était un lieu d’opportunités commerciales dans ces années de grande croissance économique, mais aussi un lieu fédérateur de mouvements très prolifiques autour de revues de photographie ; ainsi la grande majorité des photographes japonais des années 1960-1970 étaient basés à Tokyo.
Or beaucoup de ces photographes ont à plusieurs reprises porté leur appareil à Okinawa, parmi eux deux figures aujourd’hui incontournables de la scène japonaise, Tômatsu Shômei et Nakahira Takuma. C’est d’abord un intérêt politique qui les a menés sur l’archipel, alors qu’ils étaient engagés dans le mouvement de résistance contre l’occupation d’Okinawa par l’armée américaine, mais après sa restitution au Japon en 1972, leur activité ne s’est pas arrêtée pour autant. Que reste-t-il, dans le regard de ces non-autochtones, de cette histoire ? Peut-on parler d’une dépolitisation du regard des photographes dans les années 1970 ? Cette communication se propose de mettre en regard le travail de deux photographes tokyoïtes sur Okinawa pour mettre en lumière la complexité des rapports du Japon avec cette préfecture après la guerre, mais pour interroger aussi plus largement la place du Japon face à l’hégémonie américaine.

 

 

Clara WARTELLE

Comment chanter l’enfance ? Une analyse de la production musicale de la revue Kin no fune/hoshi

Le dōyō undō, ou mouvement des chants pour enfants, a réuni dans les années 1920 des écrivains, des poètes et des musiciens autour d’un même projet : celui de concevoir des chants aux qualités littéraires et musicales destinés aux enfants, les dōyō, qui soient en quelque sorte l’antithèse du produit de l’éducation musicale dans les écoles. En effet, ces dōyō, bien que de forme occidentale par leur système d’écriture, de notation et d’interprétation, se distinguaient des shōka, les chants scolaires, par bien des aspects, notamment le souci d’une qualité artistique et l’évitement d’une quelconque portée moralisatrice au profit d’un retour aux chansons et comptines enfantines autochtones, les warabe uta. Sur ce dernier point, le développement des réflexions pédagogiques, qui s’était amorcé au tournant du siècle, et les critiques des shōka énoncées par le mouvement dōyō trouvèrent en les résultats des premières campagnes de relève et de compilation des warabe uta un terreau fertile à la création d’un répertoire qui puisse représenter de façon plus authentique la culture de l’enfance japonaise.

Les revues pour enfants furent le lieu de la collaboration active de paroliers et de compositeurs qui, en plus d’enrichir ce nouveau répertoire, menèrent d’importantes réflexions sur le besoin de puiser dans le folklore enfantin, parfois très régional, pour définir la figure de l’enfant dans la société japonaise. Akai tori, revue considérée comme à l’origine du mouvement, permit ainsi dans une certaine mesure de promouvoir les chansons populaires des campagnes auprès de son lectorat d’enfants citadins et issus des classes bourgeoises. Mais qu’en est-il de revues davantage diffusées hors des villes comme la revue Kin no fune/hoshi ? Lors de cette communication, nous réfléchirons aux représentations de l’enfant(ce) véhiculées par cette dernière au travers de sa production de dōyō par l’analyse musicale et textuelle des chansons publiées dans ses pages, afin de déterminer des éléments caractéristiques de la culture enfantine de l’ère Taishō.

 

Raphëlle YOKOTA

Le cinéma de Koreeda Hirokazu: le point de vue des invisibles

Depuis 20 ans, le cinéma du Japonais Koreeda Hirokazu 是枝裕和 est centré autour de structures familiales, mais aussi sociétales, en marge de la société. Le film pour lequel il a reçu la Palme d’Or en 2018, Une Affaire de famille 万引き家族, a été acclamé pour sa capacité à mettre en lumière « les Invisibles ». Koreeda veille effectivement à mettre en avant le point de vue des moins privilégiés, non seulement au niveau thématique mais également filmique. Nous nous appuierons sur l’analyse de séquences extraites d’Une Affaire de famille et de Nobody Knows 誰も知らない – film de 2004 salué pour sa charge critique – pour illustrer les caractéristiques stylistiques du cinéma de Koreeda, en perspective avec les dynamiques sociales au coeur du Japon contemporain. En effet, ces films se situent, sinon toujours dans des grandes villes, en tout cas le plus souvent dans des zones habitées, où le tissu social est dense et complexe. Par ailleurs, Nobody Knows, comme Une Affaire de famille, illustrent tout particulièrement ce trait récurrent de son cinéma qui s’intéresse aux petites histoires en marge de celle des puissants, parvenant par là-même à créer du lien entre le spectateur et les personnages qu’ils regardent, au-delà du processus d’identification. Or si Koreeda représente ceux qui vivent à la marge, ce sont cependant toujours des individus qui partagent le même espace que nous. Il ne s’agit donc pas de donner à voir et à vivre une mise à l’écart spatiale, mais une cohabitation déséquilibrée, dans laquelle la société apparaît clairement comme désunie. Cette communication explorera, à partir de l’analyse filmique, des pistes de réflexion autour de la spécificité des représentations cinématographiques de ces questions, ainsi que sur la capacité du film à intégrer le spectateur à l’espace représenté.